Novembre 1981. Dans un Sénégal qui apprend petit à petit à faire sans la figure de Léopold Sédar Senghor, bâtisseur de son Etat et porteur d’une vision pour le rayonnement culturel du pays, une nouvelle page s’ouvre pour Youssou Ndour. Il décide de prendre sa carrière en main en formant son propre groupe. « Je voulais travailler pour aller de l’avant », dit-il en quittant l’Etoile de Dakar qu’il avait monté avec des amis, à son renvoi du Star Band. En le faisant, il savait qu’il n’avait plus droit à une quelconque hésitation. Il embauche ses musiciens pour ce qui allait devenir et est encore le Super Etoile de Dakar, l’un des plus grands groupes sénégalais de ces quarante dernières années, si ce n’est le plus grand.
« Je les ai embauchés et je les fais travailler. » C’est dans la clarté des termes des rapports entre le patron qu’il est désormais et les membres de son orchestre qu’il faut certainement trouver l’un des « secrets » de sa longévité. Ces mots de Youssou Ndour expriment l’ambition d’un jeune homme de 22 ans à faire franchir à la musique au Sénégal une étape et font déjà entrevoir le ‘’businessman’’ qui sommeillait en lui. Un signe qui ne trompe pas : le prêt demandé auprès d’une banque pour financer la production de ses premières cassettes. Le souci de se faire tout de suite un nom et de faire face à la concurrence pousse le groupe à en sortir quatre au cours de l’année 1982. Le wolof était déjà devenu la principale langue de la musique sénégalaise, mais ce qui se dessinait et se cuisinait – même si ce n’était pas encore perceptible clairement – c’est un rythme appelé ‘’mballax’’.
Pour ‘’imposer’’ ce mballax à des oreilles habituées aux sonorités afro-cubaines, il y avait déjà, dans ce Super Etoile, la présence du percussionniste Mbaye Dièye Faye, nourri aux sources d’une tradition multiséculaire, Assane Thiam qui, du Waalo de ses origines, incarne à lui seul le souffle du Tama, ce tambour des aisselles porteur à la fois de paroles et de rythmes dangereusement entraînants, Papa Oumar Ngom, dont les touches à la guitare rythmique – discrètes mais essentielles – forment le socle du rythme, Mamadou Mbaye dit Jimi qui arrive, par on ne sait quelle alchimie, à faire passer par un instrument ‘’occidental’’ (la guitare) des notes qui sonnent comme celles du xalam des griots de sa lignée. Tout cela se met donc doucement en place…
Petit souvenir personnel : je me souviens de cette fin d’après-midi de 1982, à Kédougou, où mon père arrive à la maison avec dans ses bagages la cassette du « Vol. 2 : Ndakarou – Xarit » de « Youssou N’Dour et Le Super Etoile de Dakar », remise à la grande sœur déjà fan de la musique de l’étoile (naissante) de la Médina. Ce qui me reste de la première écoute de cette œuvre, c’est la répétition du nom de Dakar. Peut-être parce que l’écolier de 7 ans que j’étais avait déjà appris en classe que c’est la capitale du Sénégal. Allez savoir ! Ce qui est sûr, c’est qu’un lien s’était établi ce jour-là…
Dakar, le 16 janvier 2020