Ne vous y trompez surtout pas : la ‘’petite voix’’ de Youssou Ndour, hésitante et approximative, pas du tout assurée – que l’on entend en ouverture de cet épisode, dit exactement le contraire de ce que son auteur tient comme ambition : il sait ce qu’il a comme potentiel – encouragé en cela par une clameur savante et désireuse de voir son patrimoine artistique être enrichi – et ce qu’il veut pour se construire et se forger une identité artistique individuelle et une personnalité dans la société.
Les débuts de Youssou Ndour n’ont pas été faciles, pour des raisons que tout le monde sait aujourd’hui : son père, Elimane Ndour, n’ayant pas vu de façon concrète l’exemple d’une ascension sociale par la musique, ne voulait pas le voir chanter. Mais pour d’autres raisons, que seuls les secrets de la destinée peuvent expliquer, il a pu creuser son sillon.
- Il y a d’abord le contexte historique et le cadre géographique : la Médina, quartier fondé en 1914 par les populations ‘’sorties’’ du plateau par l’administration coloniale, s’est révélée être un formidable foyer à ciel ouvert où s’est créée une sorte de contre-culture portant les germes d’une résistance endogène et d’une affirmation de soi. Ce quartier, lieu des bals poussière, des kasak organisés pour créer une cohésion avec les circoncis, de batailles politiques forcément animées aux plans artistique et culturel dans presque tous les domaines de l’art, etc. ne pouvait être qu’un terreau fertile pour susciter des vocations. Celle de You sommeillait en lui, et quelque chose le lui soufflait…
- Le père ne voulait pas mais il y a quelque chose qui peut être plus fort qu’un refus paternel, qui fait que, par un concours de circonstances heureuses et des coups de pouce du destin, l’on arrive à se ‘’tirer d’affaire’’. Pour Youssou Ndour, il y a…l’appel du sang, auquel il a, heureusement – on peut le dire aujourd’hui – répondu. Du côté de sa mère, Ndèye Sokhna Mboup, il est d’une lignée de gawlo, ces historiens, conteurs, musiciens et conseillers…dans l’esprit et le génie desquels se trouve entretenue la chaîne de transmission de valeurs qui fondent la personnalité de la communauté. Il fallait bien quelqu’un pour prolonger cette tradition.
« Je ne comprenais rien » à ce qui se passait, dit Youssou Ndour. Et comme s’il fallait un autre coup du destin pour lui, Papa Samba Diop dit Mba du mythique Star Band meurt. En lui rendant hommage à travers une chanson d’une grande mélancolie, et une voix pleine de promesses qui touche les Sénégalais, Youssou Ndour reprenait en vérité le témoinspirituel que Mba avait posé sur son chemin. Il s’en saisit. Il avait 16 ans, l’âge où on est plus sujet qu’acteur de ce qui arrive dans sa vie.
Dakar, le 5 janvier 2020