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Seule… (2)

par | 15 Nov, 2017 | Nouvelles | 8 commentaires

Je repense à maman ce matin en déposant les enfants à l’école. Nous avons passé une très belle soirée chez elle samedi tous ensemble.

Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vu aussi épanouie. Depuis son retour du Maroc, elle renaît. Elle sourit pour un rien, et est redevenue celle que je connaissais, celle d’avant, celle d’avant la mort de papa, celle des belles années, je n’aurai jamais pensé la retrouver un jour. Ce voyage lui a fait beaucoup de bien semble-t-il, j’aurai dû y aller avec elle au lieu de me réfugier dans le travail, fuyant une probable discussion sur le vide laissé par la mort de papa. Je n’étais pas prête à entendre cela. Mon téléphone sonne, c’est justement elle. Je la mets sur haut-parleur.

  • Bonjour maman,
  • Bonjour ma chérie, comment vas-tu ?
  • Bien, je suis sur le chemin de l’école avec les enfants,
  • Comment vont-ils ?
  • Grincheux comme tous les matins, rires, et toi maman, tu as pu te reposer un peu ?
  • Oui, ça va, je t’ai appelée à plusieurs reprises hier sans jamais réussir à te joindre
  • Désolée, j’avais mis mon téléphone sous silencieux en rentrant de chez toi pour dormir et c’est resté tel quel toute la journée dhier. Adji est rentrée ce weekend et j’étais toute seule à faire tout le travail de la maison.
  • Tu passes à la maison ce soir ?
  • Pas spécialement, je suis fatiguée, ça peut attendre demain ?
  • Dama la sokhla (je souhaite te parler) ?
  • Han ??? Mba diamm maman ? Qu’est ce que tu as-tu es malade ?
  • Mais non, Rien d’inquiétant, j’ai besoin de parler à ma fille rek, tu seras là à quelle heure ?
  • Ok ça marche, je serai là-bas vers 18h30
  • A tout à l’heure ma chérie

Elle raccroche.

Je m’empresse de déposer les enfants à l’école et file au bureau, ce matin, comme tous les 15 jours, je suis en retard. C’est fou à quel point je suis dépendante de Emma. Je perds tous mes repères quand elle s’absente et suis toujours en retard au bureau quand elle est absente. J’arrive en catastrophe à la réunion du comité directeur, décidément comme tous les 15 jours. Je n’ai pas une minute de répit de la journée. Entre ceux qui tombent malades tous les lundis comme par enchantement et ceux qui prennent leur week-end vendredi à midi, laissant gentiment le reste de leur travail à leur collègue pour le lundi, je ne sais où donner de la tête. La journée se déroule un peu trop vite à mon goût. C’est, fatiguée et sur les nerfs que je prends la voiture pour me rendre chez ma mère. J’espère juste que ce n’est pas à nouveau pour des questionnements existentiels. Aujourd’hui je n’ai pas la force de philosopher ou d’essayer de comprendre, je veux mon lit. J’ai failli oublier les enfants à l’école. Je sens que je vais hurler…

Elle est installée comme à son habitude dans la cour de la maison. Cette fois-ci, elle n’est pas sur sa natte de prière mais plutôt sur un des 3 petits matelas disposés autour d’une grande natte. Les enfants s’empressent de se jeter sur elle, tout à leur joie de la retrouver. Ils ont une relation particulière. J’aurais tellement aimé qu’ils connaissent mon père, j’essaie d’imaginer les jeux auxquels ils auraient pu jouer ensemble, je me sens triste d’un coup. Malgré toutes ces années, il me manque encore aujourd’hui comme au premier jour, la douleur de sa perte s’est estompée mais le vide qu’il a laissé dans ma vie est encore béant. Je me surprends encore à me demander, si certains de mes choix lui conviendraient. Qu’aurait-il pensé de mon mari s’il était encore en vie. Je crois qu’il l’aurait apprécié. Par bien des égards ils ont des points communs. IL aurait pu te laisser auprès de moi, auprès de nous tous encore un peu, que tu connaisses tes petits enfants. « Tabara ! », je sursaute, ma mère me parle depuis un moment, semble-t-il, je suis tellement absorbée dans mes pensées que je ne m’en suis même pas rendue compte. Les enfants se sont élancés vers l’intérieur de la maison, depuis, à la recherche d’un goûter qu’ils sont sûrs de trouver dans la cuisine. « Tu étais où ? En pleine discussion avec toi-même dans ta tête ?». Je souris. Ma capacité à entrer dans ma bulle à tout moment a toujours été pour ma mère une véritable équation. Je la regarde, elle a toujours été la plus belle à mes yeux.  Toujours apprêtée, toujours très coquette. C’est moi ou elle a particulièrement pris soin de sa mise. Je lui en fais le compliment et vois naitre un sourire sur ses lèvres. Je rêve où son sourire est gêné…

« Merci ma chérie. » me répond-elle. Un silence s’installe, silence apaisant que seule la compagnie d’un parent peut apporter. Ce genre de silence fait de rien et plein de tout.

Ma mère le coupe par ces mots « Tabara, je souhaite que nous discutions… Ton père nous a quitté depuis une dizaine d’années déjà, pour toi, comme pour moi, pour nous tous je devrai dire, cela a été très difficile. Nos vies ont, depuis lors, été comme suspendues surtout pour toi et moi. Tes frères et sœurs ont su le transcender car ainsi est faite la vie. Je souhaite à mon tour passer à une autre phase de ma vie. » ma bouche s’ouvre et se referme toute seule. Les mots se bousculent dans ma tête mais je n’arrive à en sortir aucun.  Elle ne me laisse pas le temps d’en placer une, en enchainant « Je sais que tu te poses une foule de question, mais laisse-moi terminer. Cette conversation est de loin la plus dure que je n’aie jamais eu à tenir surtout avec toi. Alors, écoute-moi jusqu’au bout ». Je referme cette fois-ci ma bouche, une bonne fois pour toute.

« J’ai rencontré quelqu’un, je ne pensais qu’il me serait encore possible de rencontrer quelqu’un mais c’est ce qui s’est passé. Aucun homme ne pourra remplacer ton père. Ni toutes les années que nous avons passé ensemble. Ton père n’est plus. Et cela fait bien longtemps que je suis seule. Je ne pense pas être au bout de ma vie pour vivre complètement recluse. Les années à venir et ce qui me reste à vivre je souhaite les partager avec un conjoint. Un homme sur qui je pourrai me reposer, avec qui je pourrai partager mes joies et mes peines. Je comprends que cela puisse te prendre de court ou même te choquer. Je voudrai que vous fassiez connaissance. Il doit arriver d’une minute à l’autre. Je ne t’oblige à l’accepter dès le premier jour. J’espère juste que tu lui accorderas le bénéfice du doute. Je suis certaine qu’à terme tu apprendras à l’apprécier.»

Que dire après ceci, je prends conscience que j’ai peut être eu tendance à l’enterrer trop vite, la vieille. Du haut de ma jeunesse toute relative, je la vois en fait comme ma mère, juste ma mère, une vieille femme, enfin une femme entre deux âges. Pour moi, ma mère ne peut avoir d’autres préoccupations que son chapelet et sa natte de prière. Implorer le pardon de Dieu et prier pour nous. Ma mère n’est pas jeune, ne peut être jeune et par conséquent ne peut avoir les mêmes aspirations que nous. Qu’est-elle entrain de me faire là ? Une crise post-ménopause ?

« Maman, je ne suis pas certaine d’avoir compris. Je suis un peu perturbée là. Je ne sais pas quoi te dire. Tu as rencontré quelqu’un comment ? Où ? A quel moment ? Tu le connais depuis quand ? Tu ne peux pas jeter aux oubliettes plus de 35 ans de vie commune comme ça du jour au lendemain. Que peut bien t’apporter un homme à ton âge que tu ne connais pas déjà et que tu as dépassé. »

« 25 ans ma chérie, et  je suis veuve depuis 10 ans. Et je pense que c’est ça le problème, tu continues à croire que ton père va revenir ou qu’il est caché quelque part et va surgir d’un moment à l’autre. Tabara, il n’est ni en voyage, ni au travail, il est mort depuis 10 ans, si tu l’as oublié, moi pas !!!! Je me couche tous les soirs avec cela à l’esprit et me réveille tous les matins avec. Cela fait dix années que je parle seule dans cette maison sans personne pour me répondre. Dix années que je suis seule sans quelqu’un avec qui rire, rire des petits riens qui font partie de la vie à deux, un souvenir commun, une anecdote, partager un livre, lire le journal l’un après l’autre, regarder une série tv, se chamailler pour la télécommande se plaindre des enfants, ou même aller à la mosquée ensemble, si tu crois que ma vie se résume à une natte de prière. Dix années pendant lesquelles je ne peux partager avec personne mes doutes et craintes, mes peurs et mes tracasseries. Dix années sans une épaule sur laquelle m’appuyer. Dix années que l’autre côté de mon lit est désespérément froid et vide. Dix bonnes années !!! Tabara, si d’autres femmes se suffisent à elles seules, grand bien leur fasse, je ne me suffis pas à moi seule. Je ne suis pas que votre mère, je suis aussi une femme !!!». Elle se lève telle une furie et disparait à l’intérieur de la maison.

Qu’est ce qui vient de se passer ? Je rêve ou c’est ma mère qui vient de claquer la porte de sa chambre ??? Les enfants sortent en courant : « Maman, qu’est ce qui se passe ? On a entendu Mamy crier, elle est entrée dans sa chambre. Vous vous êtes disputés ? »

« Non pas du tout, des fois on parle plus fort qu’on ne le voudrait dans des discussions, je vais la chercher »

Elle a dû entendre mes pas, elle ouvre la porte dès que j’arrive devant sa chambre. Je veux parler la première, je débite d’une traite « maman, je suis désolée, je me suis mal exprimée, ce n’est pas ce que je pensais… ». Elle sourit : « si, c’est exactement ce que tu pensais et que tu penses encore. Depuis le temps que je te connais, je sais comment tu réfléchis. Tu as tout faux, je vais faire semblant de croire tes excuses et tu vas faire semblant de tout avoir accepté pour le moment. Le temps fera le reste.»

Nous ressortons ensemble et trouvons mes enfants avec un gentil inconnu. Son sourire s’élargit en voyant ma mère apparaitre à ma suite pendant que moi je reste figée dans l’encadrement de la porte. « Bonjour Sidy, nous ne t’avons pas entendu entrer » dit ma mère, se retournant vers moi, pendant que je continue à faire corps avec le pas de porte « Tabara, je te présente tonton Sidy. Sidy, voici Tabara ».

 

Si vous n’aviez pas lu la première partie, elle est disponible par ici

8 Commentaires

  1. Bolèle

    Très belle plume! MashAllah

    Réponse
  2. Binta Ndiaye Maïga

    Ce que j’aime dans tes écrits, c’est la véracité , la possibilité a chacune de se projeter dans les situations, merci pour l’instant de bonheur en te lisant, très belle journée

    Réponse
    • Zoubida

      Merci Binta. Cela fait partie intégrante des raisons pour lesquelles j’écris. faire en sorte que chacun puisse s’y voir et analyser les situations sous un autre angle

      Réponse
  3. Penda

    Je pense à mon papa veuf depuis 2ans apres 45 Avec ma maman .Quand Elle parle de solitude je ne peux m empêcher de penser à lui .Et d un autre cotè je ne vois pas une autre femme Avec lui .Nous sommes des fois tellement égoïste mais c est plus fort que Nous ,que moi

    Réponse
    • Zoubida

      Effectivement, nous le sommes tous, peu d’entre nous voient leurs parents comme des êtres humains avant d’être des parents…

      Réponse
  4. Aisha

    Très belle plume ma chaa Allah. Ahhh je ne sais pas ce que mes enfants feront aussi le jour où ca marrivera. je me suis aussi opposée au remariage de ma maman après le décès de mon papa (paix à son ame)
    @ Penda c’est trop tot pour ton papa de penser à une autre femme autre que ta maman (que son ame repose en paix). je suis veuve aussi depuis 1 ans et demi et je ne me vois pas me remarier de si tot si ce n’est la volonte de Dieu.

    Réponse
    • Zoubida

      Chaque histoire est particulière… Aisha. J’espère que votre choix sera respecté quel qu’il soit.Pour votre maman, je pense que le choix lui appartient de refaire sa vie ou pas, comme il vous appartiendra aussi…

      Réponse

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