Saint-Louis,
Ma ville, endormie au bord du fleuve Sénégal. Ai-je encore le droit de l’appeler ma ville, cela fait 6 ans que je ne me suis pas promenée au bord du fleuve, 6 ans que je n’ai pas traversé le pont Faidherbe, et pourtant je ne vis qu’à 3 heures de route. J’ai passé du temps en d’autres lieux depuis. Je n’arrive juste pas à trouver le temps d’y aller. Je me cache derrière cette excuse, j’en suis bien consciente.
Et pourtant, je m’identifie comme saint-louisienne avant d’être sénégalaise ou tout autre chose.
Saint-Louis me manque.
J’ai l’impression qu’il me manque une partie de moi. Cette ville qui m’a vu naitre, qui a guidé mes premiers pas, cette ville où j’ai passé mes plus belles années.
De l’école Notre Dame de Lourdes au collège Didier-Marie puis au lycée Faidherbe oups lycée Cheikh Oumar Foutiyou Tall avant de quitter Saint-Louis pour d’autres horizons.
Ma première rencontre avec l’école publique. Que de souvenirs.
J’ai failli redoubler ma seconde, tellement enivrée par la liberté que procurait le fait de ne pas avoir le frère Orain aux aguets. De savoir qu’on pouvait faire grève pour tout et n’importe quoi, nous ne nous en étions pas privé à l’époque. De savoir qu’on pouvait décider tout seul de ne pas faire cours, et que personne n’allait convoquer les parents pour cela. De savoir que si le prof est absent on n’est pas obligé de rester dans l’école pour faire permanence avec le frère Nicolas ou avec le frère Je_Cause (Mea culpa, je ne me souviens plus de son vrai nom). On leur en a fait voir des vertes et des pas mûres, quand j’y réfléchis, aujourd’hui, je ne suis pas fière de moi. Maintenant que j’y repense, c’est le frère Nicolas qui m’a fait aimer la géographie en 4ème. J’aimais particulièrement ses cours sur l’Europe et la naissance de l’UE.
Tu vois ? Ma mémoire n’est pas aussi défaillante.
Tu te souviens de lui, frère Pierre Orain, plus connu sous le nom de Orain Ndiaye ou Louis de Funès comme on l’appelait dans son dos. Orain et sa phrase qu’il nous sortait en troisième avant chaque devoir, La question 2 vient après la question 1. Impossible avec lui de réussir un devoir si on avait raté la première question. Orain qui s emettait devant l’entrée de l’école à 7h55, pour faire courir les derniers retardaires. 5 minutes de retard tu n’entrais pas en classe. Si au moins il te laissait aller te promener dans le quartier sud, vu le retard. Non, tu étais condamné à ne pas faire cours, et à être assis sur le banc devant son bureau pour toute l’heure à venir. Educateur hors pair, je garde un vif souvenir de lui.
Je te vois d’ici me dire, toi et ta mémoire défaillante, tu oses dire que tu te souviens de lui.
Tu te souviens de Thioker notre prof de sciences naturelles en seconde ? Je serai incapable de dire son vrai nom aujourd’hui, et de Du Bellay, notre prof de français (versification, littérature du 16eme siècle), comment s’appelait-il encore ?
Je te vois secouer la tête en te disant, billay, tu es irrécupérable, comment peux-tu oublier tout cela. Et pourtant aujourd’hui je fais appel à ma mémoire, celle qui me fait défaut, pour coucher ces souvenirs.
Toi tu m’as suivi partout et tu continues à me poursuivre, je sais qu’en me lisant, tu me répondras que c’est plutôt moi qui t’ai suivi partout.
De notre première rencontre au CP à l’école Notre Dame de Lourdes, tenues par les sœurs de la Présentation de Marie, moi, venant fraichement de débarquer dans TON école où tu régnais en reine. Que de rivalités de petites filles. Heureusement, nous avons su rivaliser de manière saine, sur le plan des notes en classe et de l’affection de nos enseignants, il y a eu aussi quelques promesses de bastons, auxquelles je n’ai pas participé, préférant prendre la tangente ou faire appel à ma langue bien pendue, j’avoue. Surtout de celle de sœur Delphine. Un livre ne suffirait pas pour dire tout ce qu’elle a représenté dans nos vies, la douceur faite femme…
Et toi aussi, tu te souviens de notre première rencontre, nous étions toutes les deux en classe de cm2 et venions de remporter le concours PGL dans nos écoles respectives, nous sommes retrouvées pour la phase départementale. Je ne sais pas comment tu avais fait pour être là, pour ma part c’était dû à la persévérance de ma mère, quand je dis persévérance, entends, la somme de coups que j’ai reçu pour ne plus faire de fautes. J’ai fait le minimum de fautes pour arriver à ce concours, pas par passion de la langue mais plus par peur de ma mère.
Je crois me souvenir que nous sommes restées au balcon de l’école Fara Mbodj en face du fleuve attendant les résultats de la correction de la dictée qui devait nous dire si nous allions en finale ou pas. Nous avons passé cette heure à parler, nous ne nous sommes plus jamais quittés. Nous sommes allées en finale ensemble. Nos petits frères et sœurs ont 3 semaines d’écart, nous les portions chacune et passions notre vie ensemble.
De cette rencontre est née cette amitié qui dure depuis plus de 20 ans. Malgré le temps et la distance, malgré les aléas de la vie nous sommes restées celles que nous étions à 10 ou 12 ans, pouvant se parler des heures à n’en plus finir. La plupart des gens ne comprennent pas les liens que nous avons. Tant mieux pour nous, ce sont des liens que le temps a construit, que la sincérité a forgé, jamais nous n’avons eu à douter l’une de l’autre.
Tu as été de tous mes combats, de toutes mes joies et de toutes mes peines et cela continue jusqu’à ce jour. Te souviens tu des bastons mémorables que tu as fait à ma place. Je ris et pleure en même temps rien qu’en y pensant. Te souviens tu de toutes les personnes à qui tu ne parles plus de mon fait. J’espère avoir été et continue à être au moins le dixième de l’amie que tu as toujours été de la grande sœur que tu as toujours été.
Mon histoire de Saint-Louis, ce sont ces rencontres, ces gens qui ont fait partie de ma vie et qui continuent à en faire partie.
Mon Saint-Louis à moi, c’est la traversée du pont Faidherbe en plein froid, comme pendant les grandes vacances. Tu te souviens que nous n’avions jamais assez d’argent pour prendre le taxi et aller aux matinées à Saraba ou à nos premières soirées à la Chaumière. Nous étions déjà heureuses d’avoir la permission d’y aller, peu importait la marche que nous devions faire, nous marchions quand-même aller-retour, de la Corniche à l’île de l’île à la Corniche. Nous nous arrétions au retour à la boulangerie Iba Boye et achetions du pain, qui venait fraichement de sorti du four, le premier quart de nuit. Nous étions en bande, les garçons nous raccompagnaient toujours chacune à la maison, avant de rentrer chez eux. Ils n’étaient pas forcément mieux lotis que nous, et ceux qui l’étaient ne l’ont jamais vraiment montré, même si tous sous nos grands airs, nous essayions de donner le change
Retrouverons-nous ce Saint-Louis de notre enfance ? Notre ville est restée la même, notre vécu là-bas est le même que celui de générations avant nous. Nous la retrouverons telle quelle, inchangée dans nos cœurs, regorgeant de souvenirs à chaque coin de rue.
A ma prochaine visite, je ressentirai sa chaleur, son regard bienveillant, et son hospitalité. Je prendrai du temps pour marcher dans ses rues, pour traverser la rue de Paris, retrouver l’avenue Charles de Gaulle, mais surtout cette fois-ci, retraverser le pont Faidherbe de nuit. Respirer son air. Humer son odeur… Saint-Louis a une odeur que seuls les saint-louisiens connaissent. Me promener de la Pointe Sud à la pointe Nord. Flaner sur les quais, repassant devant le Saraba et la salle de sport du collège Didier-Marie. Aller dire bonjour à Faidherbe, passer devant notre lycée et devant Seynabou. Ecouter Golbert et le guetter à son entrée à la radio. Ecouter le théâtre de radio ndar le samedi soir avec ma grand-mère. Manger son lakk dieun (poisson grillé) avec le yaabooy acheté le matin même tout frais au marché. Boire son thé de 17h. Et faire d’incessants allers-retours entre la maison et la boulangerie de Pape Makhtar pour surveiller la cuisson de ses biscuits que je transporterai dans de grands plateaux four sur la tête.
Je sais que certaines choses ne se réaliseront plus jamais, je me contenterai juste de retrouver mon quartier. M’asseoir devant la porte de la maison familiale et regarder les gens passer avec pleins de souvenirs dans la tête.
Touchant…
Merci fréro