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par | 11 Juil, 2020 | Nouvelles | 2 commentaires

J’arrive à la maison, la trouvant assise, mon ordinateur portable en face d’elle, un petit pilon sur sa cuisse, démontant les touches une par une et donnant de temps en temps, quelques coups de pilon. Elle accomplissait sa tâche avec énormément de bonheur, elle irradiait de bonheur,  littéralement. Pour peu, elle en serait belle, si les démons qui l’avaient façonnée avaient su faire preuve de subtilité dans leur perfidie. Elle ne pouvait en aucun cas être un être créé par Dieu, impossible! 

La voix du muezzin annonçant la prière de Timis s’éteignait sur un énième saaga ndey, elle ne l’entendait même pas. Tout son être plongé et dirigé vers un seul but: m’atteindre, me faire du mal, me détruire. Les méandres du plaisir. Les déclencheurs d’émotion. Insondables. Incompréhensibles. J’ai le temps de l’observer, un moment, marmonnant entre ses dents, ce qui était certainement des insultes. Elle était passée maître dans cet art. 

Elle relève la tête en entendant mon bonjour. Et me lance en continuant son oeuvre « Nii laay nangamtaane ndeyyam benn par benn. Da ngay jaay capable? Ma la gën capable. » (c’est de cette manière que je le casserai. Tu te crois futée, je le suis encore plus)

Je la dépasse et entre dans ma chambre; détachant et posant sur le lit mon bébé que j’ai porté sur le dos presque toute la journée. Elle avait fait défoncer ma porte. La chambre était sens dessus dessous. Les portes de l’armoire grandes ouvertes et le contenu, répandu sur le sol.

Je ne pleurerai pas, c’est ce qu’elle attend. Pourtant, tout au fond de moi, je sens mon cœur s’étioler. Se faner partie par partie. Je plie les habits un par un, en fait des tas distincts que je pose sur le lit. Slips et soutiens étaient éparpillés un peu partout. Certaines de mes affaires étaient encore mouillées. L’odeur caractéristique de saafara embaumait la pièce de toutes les façons, il n’y avait aucun doute possible.

Il me faut plus d’une heure pour finir de tout ranger. Je me déshabille, enroule ma serviette autour de moi, attache par dessus un pagne, me couvre les épaules, prend la passoire en plastique, placée dans un coin de la chambre qui me sert de trousse de toilette, et me dirige vers la toilette de l’autre côté de la cour. En repassant devant elle je me rends compte, qu’elle a trempé ce qui restait de l’ordinateur dans un seau d’eau, mes yeux s’embuent. Wallahi, je ne pleurerai pas.

  • Tante, Baal ma baayil ma xel ci Mamy ma sangu ta ñëw. (Tante, pourrais-tu garder un œil sur Mamy, le temps que je prenne ma douche)

Je n’entends pas sa réponse. De toutes les façons, rien de bon ne peut sortir de sa bouche. 

Je continue d’avancer. Elle ne lui fera aucun mal, c’est la chair de sa chair.

Je repasse devant elle et vais m’enfermer dans ma chambre pour la nuit. Mon seul repas sera ce paquet de « mbiskit » offert plus tôt aujourd’hui par mon binôme. 

Demain est un autre jour, je trouverai une solution…

—**—

Cette journée sur le terrain est interminable. Je suis fatiguée et elle n’arrête pas de pleurer. Elle fait ses dents, certainement.

Je suis moi aussi à bout. Un an de travail perdu. Je dois recompiler de tête tout ce que j’avais déjà écrit. Mes pas me dirigent naturellement vers la maison où j’ai grandi. C’est mon dernier recours, même si mes précédentes visites s’étaient soldées par un échec. Mon oncle est catégorique, je ne reviendrai pas dans cette maison. J’espère que ma bàjjan a pu lui parler. Mon téléphone sonne. C’est elle.

  • allô bàjjan! (Allô, tata)
  • Diyana, na nga def? (Diyana, comment vas tu?
  • Ma ngi fi rek (je vais bien)
  • Fo nekk ni? (Où es tu?)
  • Ma ngi di dem seeti sama nijaay. (Je vais voir mon oncle)
  • Haaan, ana Mamy ? (Haan, et Mamy?)
  • Mi ngi ni ma boot, Fann yi feeñël bi mo ko sonnal. (Elle est avec moi. Elle souffre ces jours ci à cause de sa poussée dentaire)
  • Massa, di na jàll de. Am na fàs? (Massa, ça va passer. A-t-elle son amulette?)
  • Dedet (Non)
  • Wa Diyana, lu la tax saggàn? Bu suba nga ñëw fi. (Mais, Diyana, pourquoi es tu si laxiste ? Passe demain à la maison)
  • Waw. Wa bàjjan lu sama nijaay wax? (D’accord. Bàjjan, qu’a dit mon oncle?) – je m’étais arrêtée à l’angle de la maison, tendue comme un arc, les prochains mots seraient déterminants pour mon avenir et celui de ma fille – 
  • Dem naa fa demb. Waxtaan na ñu  waxtaan wu yàgg. Ci li mu wax, xame wul woon situation bi noonu. Waaye daal ba tey diis na ko mu ñaana li la baat. Leegi, xana lenn… (Je suis passée le voir hier. Nous avons longuement discuté. D’après ses propos, il n’avait pas idée que la situation en était arrivée là. Il a encore du mal à se décider pour demander à ta belle-famille de te rendre ta liberté. Je pensais à une chose…)
  • (Les larmes que je retiens depuis des jours, coulent toutes seules)
  • Allô! allô! allô Diyana?
  • (Reniflant) bàjjan maa ngi lay degg. Bàjjan man lutax ma war dëkke metit bi. (Bàjjan, je t’entends. Bàjjan, pourquoi devrai-je souffrir toute ma vie?)
  • Da ngay baayi jooy yi nak. Fajjul dara. (Arrête de pleurer. Cela ne règle rien)
  • (Reniflant toujours).
  • Ya ngi may degg? (M’entends tu?)
  • Waw (Oui)
  • Leegi, va chez ton oncle. Je ne t’ai pas dit qu’il refusait. Il a à présent accepté l’idée. C’est à toi de lui expliquer. Comprends le, il a du mal à concevoir un divorce. Il craint ce que les gens vont en penser. Tes parents ne sont plus; il vous a élevés envers et contre tous, plus particulièrement contre l’avis de sa femme qui considérait que vous étiez des bouches en trop. Yow itam deel xalaat… (Réfléchis toi aussi)
  • Waw bàjjan, je ne suis plus loin de la maison.
  • Bo genne foofu, wo ma! (Appelle moi en sortant)
  • D’accord. Merci bàjjan!
  • Sa yaay la kay deffal, mi ngi ci dëg tey (Je le fais pour ta mère)

Je reste quelques minutes dehors, le temps de me recomposer une mine correcte. Je le fais surtout pour affronter le regard de ma tante. Elle ne m’aime pas. C’est le moins que je puisse dire.

Notre mère est morte quand on avait à peine 7 ans, ma sœur et moi. Mon père? Illustre inconnu. Je ne l’avais jamais vu avant le décès de maman. Aux dernières nouvelles, il vivait au Gabon. Je ne l’ai plus revu depuis le décès de maman. Il est venu une semaine, juste le temps de nous refourguer à mon oncle, promettant à ce dernier de lui faire parvenir tous les mois de quoi nous entretenir. Rien. Depuis lors. Je ne me souviens même plus de son visage. Plus personne n’a plus eu de ses nouvelles. À la fin de l’adolescence, j’ai fait des pieds et des mains pour le retrouver, sans succès.

Est-il toujours en vie? Je ne sais pas. Je l’ai, moi, enterré depuis très longtemps.

Je pousse le portail…

Je trouve mon oncle et sa femme installés dans la cour avant. Je peste en mon for intérieur. C’est le pire scénario qui pouvait arriver. J’allais devoir expliquer ma vie devant elle. L’air de rien, je détache ma fille de mon dos après leur avoir donné la main à chacun en guise de bonjour. Les lèvres sont pincées. Les mines renfrognées, serrées. Ma tante a pour cela un don spécial. Pire qu’un pagne essoré n’ayant pas encore été battu par la lingère. Il y a des jours comme aujourd’hui où l’envie de la battre déclenchant ce claquement caractéristique redonnant au pagne son apparence initiale, me démange. Je chasse vite cette idée de mon esprit. Qui oserait « fëg » ma tante.

Ils se préparaient pour la prière de timis. Mon oncle tend les bras pour prendre la petite, pendant que ma tante continue d’égrener son chapelet. Je les laisse avec elle et m’engouffre dans la maison. Mes cousins, me voyant entrer, m’accueillent avec de grands cris de joie. Il se passe quelques minutes durant lesquelles je réussis à retrouver un peu d’insouciance; chacun essayant d’accaparer mon attention.

Ma cousine revient avec ma fille, qui réclame le sein. Le moment est interrompu. Tout le monde se disperse pendant que je reste seule dans le salon à l’allaiter. 

L’écran de mon téléphone s’allume, je viens de recevoir un message WhatsApp. C’est Djiby.

« T où? »

Je ne répondrai pas. Il recevra la notification de lecture. Ce qui le rendra furieux. Je n’en ai plus grand-chose à faire. Je retire le sein de la bouche de Mamy, elle s’est endormie.

Je la couche sur la banquette et retourne trouver mon oncle dehors. Je m’installe à ses côtés et reste silencieuse:

  • Diyana, gudde nga fi tey de. Xana taali wo reer ? (Diyana, tu devrais rentrer, il se fait tard. Tu ne dois pas préparer le dîner ?)
  • Leegi ma dem, waaye Nijaay dama la soxla woon (je pars bientôt. J’ai besoin de te parler avant)
  • Xam naa li nga may doyye, sa bàjjan ñëw na fi. Neena ma deglu la, wax naa wax. Neena sey bi dafa metti. Diyana, ma laaj la? Bann sey bu metti wul nga gis ba war tax nga fas yeene tas sa bos, nii? Lenn de leer na ma, mooy ni nga ci taxawe nii ku la ci jappale wul itam, du tere nga deffal ko sa bopp. (Je sais ce que tu vas me dire. Ta bàjjan est passée me voir. Elle m’a demandé de t’écouter, elle a insisté. Il paraît que tu souffres dans ton ménage. Diyana, puis-je te poser une question? Quel mariage sans souffrance as-tu vu qui t’a donné l’envie de vouloir divorcer? Une chose est sure, la détermination avec laquelle tu comptes aller jusqu’au bout de cette histoire ne me laisse pas le choix. Avec ou sans mon aide, tu te sépareras de lui.)
  • (Je continue à garder le silence)
  • Diyana!
  • (Ma tante intervenant dans la conversation) Guy di na jur dek! Sa yaay dafa sey ba de, man mii la yar, 25 ans may seyy mëso ma gis ma fay. Yow nga xëy noraan i jikko, Indil ñu! Bu sey nexoon ñu yëg ko. Muñël de la ñu lay wax boy dem! (Je découvre qu’il est possible que les chiens fassent des chats. Ta mère est restée mariée envers et contre tout jusqu’à sa mort. Moi qui t’ai éduquée, je suis mariée depuis 25 ans. Tu te réveilles un bon matin avec des idées venues d’on ne sait où. Si le mariage avait été créé pour que les gens soient heureux, nous serions au courant. On te demande bien de savoir supporter quand tu rejoins le domicile conjugal, c’est pas fortuit)
  • (Ma résolution est prise définitivement, plus aucun doute ne subsiste en moi, je me sens libérée) Nijaay, loolu sax laa la bëgoon wax, bu suba di na dem tribunal. (Nijaay, c’est la raison pour laquelle, je suis passée te voir)

(À suivre)

* Nijaay: oncle maternel
* Bàjjan: Tante partenelle

2 Commentaires

  1. khadi sam

    c’est une très belle écriture qui met des mots sur nos réalités et les maux vécus par beaucoup de femmes dans leur ménage. bonne suite.

    Réponse
    • Zoubida

      Merci beaucoup Khadi 🙏🏽🙏🏽🙏🏽

      Réponse

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