Le mariage de mes rêves vient de s’achever, le mien.
Cette journée a tout simplement été parfaite, j’en ai toujours rêvé. Toutes les personnes qui comptent pour moi étaient présentes. Je suis la femme la plus heureuse du monde, après ma mère. Ma nouvelle belle-famille m’attend dans le salon pour m’amener rejoindre mon nouveau chez moi. Ce soir je quitte tout ce que j’ai connu avant, tous ceux que j’aime, pour un homme. Une nouvelle vie s’ouvre à moi. Je passe de « fille de… », « sœur de… » à « femme de … ». L’excitation et l’appréhension se disputent la place pendant tout le trajet qui me mène vers mon nouveau domicile. Je ne sais pas à quoi m’attendre, mais je sais que, comme toutes les femmes, nous sommes faites pour être épouse et mère. Je vais entrer dans une nouvelle famille. Des gens que je ne connais pas ou peu. De nouvelles habitudes à prendre, de nouveaux repères à créer mais je suis pressée d’y être, pressée de démarrer cette nouvelle vie, avec lui, avec celui qui m’a choisie parmi toutes les autres. Je l’aime. Je suis heureuse.
Mes tantes paternelles et cousines viennent de quitter le domicile conjugal me laissant seule entre les mains de mon époux. Les griottes et membres de sa famille sont encore là. Cette première nuit nous ne la passerons pas ici. Trop de monde autour, mon chéri nous a concocté une petite lune de miel, mes affaires sont prêtes depuis une semaine et ma cousine Astou s’est chargée de les mettre dans la voiture de Aliou. Nous essayons de trouver un moment pour nous échapper à l’insu de tous. Son meilleur ami, appelé à contribution est entrain de tout préparer. Pendant ce temps, les griottes continuent à chanter les louanges de ma belle-mère : « nous espérons que cette nouvelle belle-fille sera celle que tu as été pour ta belle-mère », « si elle suit tes pas, nous n’avons aucune inquiétude à nous faire », « à ton entrée dans cette maison tu aurais pu te targuer de ton statut d’intellectuelle et refuser d’effectuer les taches ménagères, mais tu ne l’as pas fait », « tu n’as jamais accepté qu’une tierce personne fasse les repas de ta belle-mère, de ton mari et de tes enfants, et pourtant tu travaillais », « cette belle-fille tu la mérites, tu es fatiguée, il faut que quelqu’un vienne te remplacer», « … » et ça continue comme ça.
C’est à présent l’heure, nous partons. Je suis en panique. Comment je vais faire ? Qu’est ce qui va se passer ? C’est vrai nous avons fait plein de trucs ensemble mais ne sommes jamais passé au TRUC, tu vois ce que je veux dire. J’ai peur, j’entends mon cœur cogner dans mes oreilles. J’ai un peu plus d’une heure de trajet pour m’y préparer.
Pourtant nous en avions parlé, enfin pas sérieusement, c’était surtout quand je voulais que nous nous arrêtions avant que cela n’aille trop loin, quand nous étions ensemble. Il me lançait des « si je t’attrape, tu vas voir ce que tu vas voir » et moi je répondais « j’attends de voir ça » sous un air fanfaron, un peu niais je l’avoue. Pourquoi ne lui ai-je pas parlé de mes peurs ?
Je sens l’angoisse me saisir. J’ai peur. J’ai envie de pleurer. Ma mère me manque à cet instant précis et je pleure. Il ne comprend pas pourquoi je pleure. Et en bonne sénégalaise, je réponds que ma mère me manque déjà, occultant sciemment ma réelle peur. Oui c’est comme ça que nous sommes des reines de la communication biaisée. Je l’entends de loin me répondre « si ce n’est que ça chérie, j’ai eu peur que tu appréhendes cette première nuit, j’ai tellement hâte, depuis le temps que tu me fais courir, aujourd’hui tu ne m’échapperas pas, j’attends ce moment depuis tellement longtemps», et mon cœur fait un nouveau raté. Je recompose un sourire-grimace. Mon angoisse monte d’un cran et je m’entends répondre, de loin très loin, à croire que ce n’est pas ma voix « je veux voir ça ».
Nous arrivons à l’hôtel tard très tard, un camionneur a eu la bonne idée de déverser son contenu sur l’autoroute à péage non éclairée. Les formalités remplies, ils nous donnent les clés de notre chambre, rien de moins qu’une suite aménagée pour nous, elle est magnifique d’après Aliou, moi, mon angoisse a atteint son paroxysme quand j’ai entendu la porte se refermer derrière moi.
A quoi je m’attendais aussi, qu’il allait me regarder, je ne suis pas prête je ne suis vraiment pas prête, je ne sais pas quoi faire ni quoi dire, je reste plantée dans l’entrée, lui est déjà à l’intérieur entrain de m’appeler. Assy que fais-tu plantée là, je m’avance, je pleure en mon for intérieur, rien ne m’a jamais préparé à ça. Maman pourquoi ne m’as-tu jamais rien dit. Mes copines qui se sont mariés me disent juste que c’est un mauvais moment à passer, mais ce qu’elles ne disent pas, c’est qu’il est mauvais à quel point ?
J’ai entendu Fatou dire que c’est horrible, mariée depuis 3 mois elle a toujours terriblement mal et qu’elle ne comprend même pas comment on peut aimer ça. Bizarre, pourtant Codou, elle, y prend du plaisir et elle n’est même pas mariée. Codou, n’est pas une fille bien, elle dit à qui veut l’entendre qu’il n’est pas question qu’elle se préserve pour un homme qui n’arrivera pas vierge lui aussi au mariage. J’ai beau lui dire que nous ne pouvons nous comparer aux hommes, ce qui vaut pour eux ne vaut pas pour nous. Elle ne veut rien entendre, elle fait sa vie.
Je ne me rends même pas compte que je suis perdue dans mes pensées, assise dans les toilettes et même pas déshabillée. Il m’attend sur le lit… J’ai peur. Je fais un texto à Astou, « j’ai peur », elle répond « ferme les yeux et serre les dents », un SMS de maman « je t’aime », et je re-pleure. Je veux rentrer chez moi, « je t’aime aussi maman ».
J’accepte de sortir des toilettes, mourir pour mourir autant y aller.
Il est déjà installé et déshabillé semble-t-il, je viens me glisser sous les draps à ses côtés.
Il vient se coller à moi.
Il est nu.
Je me raidis.
Commence alors un jeu du chat et de la souris entre pleurs et supplications je veux qu’il attende le lendemain il ne l’entend pas de cette oreille, Je l’ai trop allumé me dit-il. Il m’embrasse partout, me touche partout, me fait des choses. Je ne veux pas, je ne veux pas.
Mes larmes ne vont rien changer, il n’entendra pas mes suppliques, je sens son poids sur moi. Je n’arrive plus à respirer, je suffoque et je hurle, je ne veux pas, je ne veux pas, je n’arrête pas de le lui dire, pas comme ça, j’ai peur, j’ai mal, je en suis pas prête.
Je l’entends répéter inlassablement, laisse-toi aller, tu verras ce sera bien. Il bloque mes bras, se cale sur moi malgré mes hurlements et entre d’un coup… Je suis déchirée de l’intérieur, je me sens envahie de forcé contre mon gré, la douleur est atroce, ça brûle, je hurle !!!!! J’abandonne, je me suis tue, il bouge, il n’arrête pas de bouger, chacun de ses mouvements est une nouvelle déchirure, au-delà de la douleur physique, c’est mon cœur qui est en lambeaux. J’ai l’impression que ça prend des heures, tout d’un coup il se relâche, plus rien… C’est fini. Il me remercie de m’être préservée pour lui… m’embrasse sur le front et veut me serrer dans ses bras, je le repousse et me roule en boule. J’ai l’impression d’avoir été violée par mon mari, et je re-pleure.
Demain, il appellera mes parents pour leur dire à quel point il est comblé, et que je n’ai point déshonorée ma mère. Nous devrons ramener la preuve de ses dires avec nous, en rentrant.
Quelques autres billets par ici:

Auteure, podcasteuse, sénégalaise. Je suis passionnée d’écriture et je traite essentiellement de sujets autour de notre perception de l’autre, du jugement, des violences ordinaires… J’ai un premier recueil de nouvelles publié en 2018 que vous pourrez trouver ici… J’ai créé du Kokalam en 2017. Année après année, il continue de grandir.
Et malheureusement la majorité des nuits de noces se passe ainsi. Très belle plume Ma Cha Allah 😍😍😍
Et c’est bien triste tout cela. Merci pour le compliment.
Oh mes jambes!!! Je les ai senties se raidir du debut de l acte jusqu a la fin. Et mon coeur? n en parlons pas.
Merci merci
Merci à vous Sacha. Excellent week-end
Merci beaucoup Sacha…
Oh my god! ne me dites pas que c’est comme cela que ca va se passer? Moi perso je pense a ce jour presque tous les jours…lol et je trouve que c’est un sujet qui doit être discuté avec le futur mari. le fait que la fille/femme ne soit pas prete augemente aussi la douleur a mon avis, j’ai lu des gens qui disent que ce n’est pas si douleureux qu’on le dit etc.mais bon a chacune sa definition de la douleur… 🙂
C’est à peu près comme ça que ça s’est passé pour moi. J’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre, et à pardonner à mon mari.
J’ai compris que lui aussi était victime quelque part. On leur fait croire que c’est la seule façon de faire sinon la fille ne va jamais accepter et plus on met du temps à consommer, plus la famille pose de questions. Ce qui me convaint qu’il se sentait obligé de me forcer ce jour là, c que pas une seule autre fois depuis, il n’a essayé de forcer les choses. J’ai tjrs pu dire non, même en plein milieu.
C’est affreux comme expérience. Mais j’ai pris la peine de lui dire et je lui ai dit un jour, de but en blanc qu’il m’avait violé et il n’avait pas du tout réalisé. Il a compris. Et s’est bcp excusé.
Bref, je pourrais écrire un livre sur ce sujet et tout ce que j’ai compris de la désinformation sexuelle des hommes à travers nos conversations.
Il faut que l’on parle à nos enfants. Qu’on brise certains tabous. Au moins quand ils vont se marier. Sinon, ça sera toujours ainsi.
Je ne sais pas quoi vous dire madame, je n’ose pas imaginer ce que vous avez vécu. Vous avez su reconnaitre le viol et lui en parler. Il reste encore beaucoup de chemin à faire sur cette voie, pour toutes ces femmes et ces hommes. Merci pour votre témoignage