Demain sera la fin de mon veuvage… Demain, je prendrai une douche et me débarrasserai de ces vieilleries qui me servent d’habits depuis 4 mois et 9 jours. Le rire a refait son entrée dans la maison il y a quelques semaines. Les enfants ! Sans eux, je serai morte aussi et enterrée. Comme lui. Comme elle. Comme ce rayon de soleil qui accepte enfin de traverser la fenêtre du salon où j’ai élu quartier tous ces mois. Le soleil célèbre avec moi ma renaissance… Mon futur moi se construit tout doucement… Il m’en a fallu du temps ! il m’en faudra encore…
Je commence à retrouver le chemin des “réseaux sociaux”. Baver devant des photos de plats de mes amies. Rire des blagues d’autres. Apprendre de nouveaux mots… découvrir de nouveaux challenges. Pendant les deux premiers mois, j’avais désactivé mon compte. Comment affronter tous ces regards, toutes ces personnes qui savent ? Il a fait la Une des journaux et moi aussi. J’ai lu chaque post et chaque commentaire, reçu chacune des insultes dans ma chair. Très peu ont fait preuve de compassion. L’effet de masse dira-t-on… Ça fait mal de perdre, en plus de mon mari, mes dernières illusions… Je me décide à regarder cette série dont tout le monde parle. Apparemment, cet épisode est épique. Kenn mënul dëkk ci julli ak wird.
Je démarre l’épisode et fonds en larmes toutes les larmes de mon corps dès la 15eme minute. Ma fameuse nuit…
De dépit, de douleur, de colère, d’incompréhension, de rejet…
—
Il est 3h du matin quand mon téléphone sonne. C. était parti à Dakar pour une mission de 15 jours, me laissant seule à Paris avec les enfants. L’annonce tombe. Ila fait un accident de la circulation et est dans un état critique. Je ne me souviens plus de celui qui m’a appelée. A peine du reste de la nuit. De l’achat de billet d’avion en ligne. De l’appel vers les amis pour garder les enfants. De mon trajet vers l’aéroport…
On m’annonce son décès au moment de mon embarquement pour Dakar ! Je m’effondre.
Le personnel de cabine me surclasse et me prend en charge. À Dakar, je suis récupérée au tarmac. Mon téléphone n’arrête pas de sonner. Les messages et les appels s’enchaînent et s’accumulent. Je n’ai pas la force de décrocher.
J’arrive comme une loque chez ma belle-famille pour trouver mon mari déjà enterré.
Je ne le reverrai plus sur terre…
Je ne prends mon téléphone que pour appeler les enfants et les rassurer, ne sachant pas comment leur dire que leur père est mort. Je reste injoignable 3 jours. Le défilé à la maison mortuaire est incessant. Kiné tente de me parler plusieurs fois, je ne lui en laisse pas l’occasion. Je suis mal, très mal, réfugiée dans ma douleur.
Le grand-frère de Cheikh me ramène ses affaires un soir, très tard, après que la maison s’était vidée des derniers visiteurs. Assise dans ma chambre, sur mon tapis de prière, je lui propose de les garder. Il me fait remarquer qu’elles doivent entrer dans la succession. Je ne sais plus. Je ne suis plus sûre de rien. Je me contente d’acquiescer. Il me remet porte-feuilles et accessoires. Clés de voiture. Téléphone. Ordinateur…que je pose à côté de moi machinalement. Le téléphone sonne. Le temps de me retourner, l’appel se coupe. Je ne comprends pas qu’il ne soit pas déchargé. D’ailleurs où est le mien ? Aucune idée. Je prends le téléphone de C. et vois la quantité de messages et d’appels auxquels il ne répondra plus. En fond d’écran, une photo de nous avec les enfants. Je souris et je pleure…
J’ouvre le téléphone et commence à répondre aux messages. Les notifications des journaux en ligne auquel il était abonné.
Je clique sur le premier…
Non… Non… Non… Je me trompe !
Ce n’est pas cela.
Je n’ai pas compris.
Ce n’est pas possible !
Attends… Je ne comprends pas là.
C’est quoi cette histoire?
« Accident mortel sur l’autoroute à Péage.
De retour de Saly où il était parti en week-end CD perd la vie au volant de sa voiture de location. Un défaut de frein en est à l’origine semble-t-il. Sur les deux passagers que transportait la voiture, il n’y a aucun survivant. (Photo en encadré CD et une femme)
Il y avait une autre personne avec lui dans la voiture qui est morte aussi ? Comment se fait-il que je ne sois pas au courant ? C’est quoi cette histoire ?
L’horreur…
Article après article, je découvre mon mari. Je devrai l’appeler l’inconnu qui partageait ma vie. Commentaire après commentaire. Post après post… de mur en mur… de site web en site web… Je suis tellement sous le choc que je n’arrive pas à pleurer. Je sens juste une boule qui me serre l’estomac. Ça devient de plus en plus douloureux. Je veux vomir. En fait non je VAIS mourir… J’entre dans les toilettes dans un état second et m’effondre avant d’avoir atteint le lavabo. Je suis prise de spasmes et je perds connaissance…
Le froid du sol me réveille je ne sais plus quelle heure il fait… Je me lève, prends une douche, réserve un autre billet en ligne et paie. Et sors de la maison avant que le soleil ne se lève.
Du Kokalam

Auteure, podcasteuse, sénégalaise. Je suis passionnée d’écriture et je traite essentiellement de sujets autour de notre perception de l’autre, du jugement, des violences ordinaires… J’ai un premier recueil de nouvelles publié en 2018 que vous pourrez trouver ici… J’ai créé du Kokalam en 2017. Année après année, il continue de grandir.
0 commentaires