J’avais prévu de vous faire ce matin un billet particulièrement déprimant et déprimé. Un peu parce que le tronçon pont de la foire-patte d’oie, l’est, profondément. Il est 7h40, je ne suis pas arrivée à cet endroit au bon moment, je vais me manger les embouteillages et les visages renfermés et moroses.
Ces centaines de personnes à pied, à l’arrêt, en voiture ou autres, affichant tous la même mine, celle de la quête. Du jour, du lendemain, du mois, de la dépense quotidienne, du bonheur, de la santé, de ce qu’on veut. La quête de quelque chose que tous ensemble nous ne semblons jamais atteindre. Pourtant il fait beau ce matin, le ciel s’est paré d’un sublime bleu. Avec des nuages qui donnent l’impression de buildings construits au ciel. Cela devrait être extraordinaire de pouvoir se lover dans un nuage et d’observer tous nos petits soucis de là-haut. Se faire envelopper par un nuage, coconner dans un nuage. Ça doit être une sacrée sensation. Serait-ce doux? Moelleux ? Vaporeux? Soyeux?
Ouvrir la bouche et en goûter un bout. Un tout petit bout de nuage. Goûter du nuage. Fondrait-il? Fumerait-il? Se laisserait il mâcher ? Se humerait-il? Quelle odeur doit avoir un nuage ? Gourmand? Doux, épicé, floral? Printanier ? Et s’il avait l’odeur de l’hivernage? Et le goût de la terre gorgée d’eau.
Nos mines et nos allures sont à des années-lumière de la beauté du ciel de ce jour.
Ouvrez vos fenêtres et regardez le, 30 secondes. Et souriez à la vie. Je digresse assurément.
Nos gueules n’ont rien à voir avec celles des enfants de/dans la rue, installés sur le truc qui sert à séparer l’autoroute en deux. Leurs regards sont juste éteints. Ils ne sont à la quête de rien. Même pas de la pièce ou du sachet de yaourt ou de pain ou de sucre, que ce monsieur ou cette dame, à la Porsche Cayenne ou au Land Cruiser V8 ou à la 205 va leur remettre. Ils sont juste assis là, se donnant l’air de temps en temps de courir derrière une voiture pour récupérer une pièce.
À force de passer là tous les matins, je reconnais certains, m’étonne d’en voir de nouveaux et me désespère de ne plus en voir d’autres.
Encore ce matin je les observe distraitement en ruminant et en ronchonnant. Je suis de très sale humeur.
Parmi eux, il y en a un, de sept ou huit ans, il a des grandes incisives définitives. Tous les parents connaissent ça, l’étape où votre enfant arbore ses incisives définitives qui sont trop grandes pour son petit visage, conférant à ce dernier un air rieur qui fait naître un sourire sur vos lèvres toutes les fois où il ouvre la bouche.
Cela fait un mois et demi que je ne l’ai plus vu, il me mettait un sourire sur les lèvres tous les matins. Sans exception.
Cela fait un mois et demi que je me demande ce qui a bien pu lui arriver
Quand soudain, juste avant le pont de l’émergence, je le vois. Il surgit devant moi. Et là c’est moi qui fais un énorme sourire. Il course la voiture. Arrivé à ma hauteur, je fais baisser la vitre lui demandant où il était passé tout ce temps, parce que cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vu. Ses yeux s’arrondissent de surprise, il bafouille « ma ngi fi ». Je lui donne les pièces que j’avais avec moi, dérogeant ainsi à ma règle. J’étais contente de le voir. Juste cela. Et d’un coup, j’ai retrouvé les couleurs de ce ciel d’hivernage. Je souris là tout de suite en y repensant.
15/10/2019

Auteure, podcasteuse, sénégalaise. Je suis passionnée d’écriture et je traite essentiellement de sujets autour de notre perception de l’autre, du jugement, des violences ordinaires… J’ai un premier recueil de nouvelles publié en 2018 que vous pourrez trouver ici… J’ai créé du Kokalam en 2017. Année après année, il continue de grandir.
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