21 juillet 2017 – Anniversaire de tes 3 ans – Crise d’asthme un jour avant, 24h dans la salle d’urgence, 5 autres jours passés en hospitalisation.
Tous les deux. En même temps. Je ne sais pas s’il est possible de poser des mots juste sur le fait d’avoir ses deux enfants hospitalisés en même temps. Enfin…
Entourés d’autres enfants tous aussi malades que toi sinon plus.
Ce petit talibé, renversé par une voiture avec pour seul visiteur son maitre d’école coranique. Arrivant tous les jours à la même heure, les mains vides. Se mettant debout près du grand berceau qui servait de lit. Ce petit garçon qui à la question: « Siradio, tu te sens mieux aujourd’hui? », répondait invariablement « non », ce qui déclenchait un fou rire chez le personnel soignant et accompagnant, qui lui répondait « Siradio en réalité tu n’as pas envie de guérir, parce que tu sais que tu vas retourner dans la rue dès ta sortie ». Il s’enfermait alors directement, et prétextait ne plus comprendre wolof. Je ne peux m’empêcher de penser que c’était les meilleurs jours qu’il passait de sa jeune existence, entourée par le personnel soignant, pris en pitié par les autres parents. Il ne manquait de rien, absolument rien. Ses parents savaient-ils qu’il était à l’hôpital?
Cet autre petit garçon, l’insulte à la bouche, seul moyen d’expression qu’il connaissait. Hospitalisé pour avoir bu ce fameux xémé que l’on retrouve dans toutes les maisons. Ne pouvant rien avaler, ayant une sonde dans le ventre, il rackettait les autres enfants, leur piquant par ci par là des bouts de pain ou de fruit. Leur interdisant de le dénoncer auprès des infirmières. S’en suivait des scènes entre la panique générale et le fou rire, quand ces dernières s’apercevaient qu’il était entrain de s’étouffer. Le bout de pain, qu’il avait obtenu de force ne pouvant passer par sa gorge.
De cette toute petite fille qui ne pouvait sortir de son lit. Sa mère venait tous les midis sans exception pour la lever du lit, lui faire sa toilette et lui donner la bouillie qu’elle lui ramenait, seul aliment qu’elle pouvait avaler. Qu’elle ne fût ma surprise quand au détour d’une conversation avec sa mère, cette dernière me dit en riant, « Yow Yaayu Mouhamed da nga fook ni Adam ak Awa ño maasé? Adam année bi lay am 15ans ». Je ne pense pas m’être remise de mon choc. Elle était plus petite que ma petite Awa qui venait de sortir de la salle commune des urgences et était en hospitalisation dans une chambre normale.
C’est au milieu de ce beau monde avec Tata Sophie, l’infirmière de jour préférée, de tous les enfants du service d’urgence que nous avons fêtés tes 3 ans. Nous n’avions pas oublié de garder du gâteau pour tata Astou la perle de nuit.
Chanter “Joyeux anniversaire” au milieu du pavillon pédiatrie avait quelque chose de cocasse. Ton père et moi nous sommes regardés et avons éclaté de rire. Nous avons terminé la soirée d’anniversaire en faisant de la chambre de ta soeur une mini-salle de cinéma. Où se sont retrouvés tous les enfants qui pouvaient marcher tout seuls. Nous avons passé une superbe soirée à regarder Vaïana, Narnia, tous ensemble. J’avoue, j’ai aussi beaucoup pleuré dans cette même journée.
Je me sentais éparpillée, disloquée, mon âme éparse, je ne formais plus un tout, pendant ces jours passés à l’hôpital. De ces nuits à te veiller est né le plus beau projet sur lequel je continue encore aujourd’hui à m’épanouir, du Kokalam. J’écris encore plus et j’écris beaucoup mieux quand je suis au fond du trou, c’est mon échappatoire, grâce à toi je l’ai réellement compris.
Avoir un enfant avec une maladie chronique qui oblige à rester de longues nuits sans sommeil change profondément, irrémédiablement. Combien de nuits avons-nous passé ensemble, toi cherchant ta respiration, moi essayant d’être calme encore et toujours.
Il est de loin plus simple pour moi en tant que mère de t’entendre dire j’ai mal au pied, car à ton pied, je peux appliquer mes mains, enduite de cette huile séculaire utilisée dans notre famille et qui soigne tous nos maux. La même huile que ma grand-mère me frottait sur le corps quand je ne me sentais pas bien. Cette huile venue directement de Fez et gardée précieusement dans chacune de nos maisons encore aujourd’hui. Le tout accompagné d’un massa. Que faire face à ton enfant qui te dit: « maman je n’arrive pas à respirer ». Où dois je appliquer mes mains? Où dois je toucher pour que cet amour qui soigne puisse faire son miracle? Nulle part… Je n’ai nulle part où toucher à part me mettre face toi, brancher le nébuliseur, faire ces gestes que j’ai fait des centaines de fois, doser la ventoline, en verser dans le réceptacle compléter avec le sérum physiologique pour atteindre ce nombre de millilitre exact qui devra faire effet.
Envoyer un texto à Dr Alice quelque soit l’heure de jour comme de nuit.
C’est le lieu de la remercier infiniment pour sa présence, son empathie, sa disponibilité peu importe l’heure. Elle a toujours su être là. Douce et forte à la fois et infiniment apaisante. Quand quelquefois je craque, complètement en larmes n’en pouvant plus, elle fait partie des rares personnes à comprendre que les mots n’ont pas de place dans ces moments là et que le mieux est de me laisser seule.
Que dire devant ces autres parents dont les enfants souffrent certainement de pathologies encore plus graves. Des parents désemparés, j’en ai croisé beaucoup, énormément dans les couloirs de cet hôpital. A la différence d’autres hôpitaux le personnel soignant est profondément humain, entendant et comprenant la détresse qui peut être nôtre. Nous taquinant par moment, sérieux dans d’autres, mais jamais condescendant ou cynique.
Les jours où avec ton père nous nous retrouvons à l’hôpital à des heures improbables et arrivons à en rire , nous disons au Dr Seye et au Dr Alice, ne pensez vous pas que vous devriez nous laisser une chambre à l’année, ce serait plus simple non? Hospitalisation de jour, hospitalisation de nuit… On les a tous fait.
Je ne pense pas avoir trouvé les mots justes dans ce texte, mais j’espère qu’il te permettra de comprendre pourquoi très souvent, je dis non, à tes envies de cascade, d’expédition, de jouer dans le sable, de courir partout, de passer du temps à la piscine. Je suis désolée, mon amour, pour toutes les restrictions que nous posons et/ou imposons. Nous sommes parents et passons aussi beaucoup de temps à avoir peur.
21 juillet 2018 – Aujourd’hui, nous avons décidé de faire la fête et je crois que nous l’avons faite dans les règles. Les enfants de Yéya et de Khady étaient là, les amies de ta soeur aussi. Pendant que vous couriez dans tous les sens, j’ai retrouvé le plaisir de mes 15 ans, passer des heures à discuter de tout et de rien avec mes deux amies.
Nous avons veillé plus que de raison ce soir, un peu trop mangé et un peu trop bu. Les estomacs à craquer et les yeux pleins d’étoiles. Et quand avec les tiens complètement endormis, tu viens te coucher dans mon lit, au moment où j’écris ces lignes, te serres contre moi pour me dire: « merci maman pour la fête, je me suis bien amusé. Est ce que je peux dormir un peu avec toi? ». Je fonds et éclate de rire en même temps. Ces deux phrases c’est tout toi. Merci Allah de m’avoir donné ce garçon extraordinaire. Puissions nous fêter des dizaines d’autres anniversaires ensemble

Auteure, podcasteuse, sénégalaise. Je suis passionnée d’écriture et je traite essentiellement de sujets autour de notre perception de l’autre, du jugement, des violences ordinaires… J’ai un premier recueil de nouvelles publié en 2018 que vous pourrez trouver ici… J’ai créé du Kokalam en 2017. Année après année, il continue de grandir.
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